Pourquoi poursuivre l’abattage inutile des requins ?

Communiqué de presse Ecologie et environnement

Sur la base de ce qui se fait sur terre avec les tigres en Inde ou les lions en Afrique, Éric CLUA, vétérinaire, directeur d’étude EPHE – PSL (CRIOBE, EPHE-PSL / CNRS / Université de Perpignan Via Domitia) et spécialiste des requins, vient de publier un article scientifique prônant un retrait très sélectif des requins dont on aurait la preuve qu’ils ont effectivement mordu l’Homme, épargnant de fait tous les autres requins qui sont aujourd’hui inutilement tués.
Le financement de cette étude a été assuré, partiellement, par le LabEx CORAIL[1], à travers une bourse d’accueil dont a bénéficié le Dr Carl Gustave MEYER (Université de Hawaï).

Cet article est un communiqué de presse diffusé par l'EPHE.

Une Nouvelle-Calédonie triomphante vient d’annoncer le 18 juin que les autorités locales avaient capturé deux requins tigre suite à la découverte du cadavre d’un véliplanchiste disparu[2], qui portait des traces de morsures de cette espèce. Premièrement, cette espèce de requin est réputée pour se nourrir sur des cadavres et rien ne prouve que ces morsures n’étaient pas post-mortem. Deuxièmement, quand bien même cette mort serait l’œuvre direct d‘un requin tigre ayant mordu un véliplanchiste bien vivant, les campagnes de pêche aveugles sont inappropriées. Étant donné leur rareté et imprévisibilité, il est quasiment impossible de démontrer l’efficacité de ces campagnes aveugles, l’inexistence de morsures à court terme pouvant être simplement liée au hasard. En revanche, il est aisé de démontrer leur inefficacité à long terme. Malgré les déclarations (indéniablement suspectes de parti-pris) de certains scientifiques en faveur de ces pêches, l’exemple de La Réunion est probant.


Suite à cinq morsures fatales en trois ans (2011-2013), des pêches initiées en 2013-2014 ayant éliminés des centaines de requins, n’ont pas empêché six morsures fatales au rythme de deux tous les deux ans (2015, 2017, 2019). Où est l’efficacité ? Dans l’hypothèse (indémontrable) que sans ces pêches, il y aurait eu plus de morts ? Pure conjecture… Et donc : que faire pour gérer efficacement et de façon écoresponsable les morsures fatales sur l’Homme dans des contextes comme La Réunion ou la Nouvelle-Calédonie ? La réponse scientifique la plus aboutie : le profilage génétique individuel des requins (PROGENIR) préconisé depuis plusieurs années par Éric CLUA, aujourd’hui rejoint par trois autres scientifiques de premier rang, à savoir le français Serge Planes (CNRS), éminent généticien, le norvégien John Linnell (NIWA), spécialiste des conflits Homme-Faune sauvage, et l’américain Carl Meyer (Université de Hawaii), spécialiste du comportement des grands requins.

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Figure : Principe du Profilage Génétique Individuel des Requins (PROGENIR)


Taxé jusqu’à aujourd’hui d’irréaliste, cette approche est maintenant validée scientifiquement par un article récemment publié dans Journal of Ocean and Coastal Management (Elsevier) (Clua et coll. 2020). Résumée sur le schéma ci-contre, cette approche suggère deux axes parallèles et complémentaires : tout d’abord prélever l’ADN du requin mordeur sur les victimes afin d’identifier, non pas l’espèce, mais l’individu au sein de l’espèce de requin (profilage génétique individuel sur l’ADN nucléaire). Ensuite, organiser un accès récurrent à un maximum d’individus de la population de requin hébergeant cet « individu à problème »[3], permettant de prélever leur ADN (pour un profilage individuel systématique) et d’être en mesure de les identifier visuellement ou à l’aide de tags afin de pouvoir les retrouver. Il suffirait ensuite de croiser les informations entre ADNs pour identifier les « individus à problème » et les retirer chirurgicalement de l’écosystème le moment venu, même si c’est plusieurs mois après l'incident.


Sachant qu’il y a une très forte probabilité que ce soit le ou les mêmes requins qui mordent l’Homme à plusieurs reprises[3]… Et non : cela ne coûterait pas plus cher au contribuable d’en passer par là, au contraire. Et cela pourrait réconcilier l’Homme avec les requins en focalisant les problèmes de morsure de prédation sur quelques rares individus, comme c’est le cas pour les tigres terrestres en Inde qui tuent des dizaines d’Hommes tous les ans, sans être tous perçus sans exception, comme leurs lointains cousins aquatiques, tels de vulgaires animaux instinctifs assoiffés de sang.

Référence de l’article :

Clua E.E.G, Linnell J.D.C., Planes S. and C.G. Meyer (2020). Selective removal of problem individuals as an environmentally responsible approach for managing shark bites on humans. Journal of Ocean and Coastal Management. 194 (2020) 105266. 10.1016/j.ocecoaman.2020.105266

[1] https://www.labex-corail.fr/

[2] https://www.lnc.nc/breve/deux-requins-tigres-preleves-a-noumea

[3] Clua, E. G. and Linnell, D. C. (2018). Individual shark profiling: an innovative and environmentally responsible approach for selectively managing human fatalities. Conservation Letters. DOI : 10.1111/conl.12612